Témoignages sur Ouvéa " Quelque chose allait arriver "
Sur l'ile d'Ouvéa, une certaine confusion entoure les longues tractations engagées pour obtenir la libération des gendarmes retenus en otage. M. Jean Bianconi, premier substitut du procureur de la République à Nouméa, lui aussi retenu en otage depuis mercredi matin, a effectué, au cours de la matinée de vendredi _ comme le chef du GIGN, le capitaine Philippe Legorjus, la veille, en tant qu'émissaire _ un aller et retour entre son lieu de détention et le quartier général des autorités pour négocier cette libération.
Le fils du gendarme Edmond Dujardin, trente-deux ans, allait à l'école de Fayaoué, jusqu'au jour où son père a été tué pendant l'attaque de la gendarmerie par un commando indépendantiste. Il n'y a plus d'enfant blanc dans les écoles du centre et du nord d'Ouvéa.
L'ile est un croissant qui s'étire au nord-est de la Grande-Terre : 2 800 habitants, trente-deux abonnés dans l'annuaire téléphonique, une école primaire, un collège catholique et un collège protestant. Elle culmine à 32 mètres d'altitude dans le nord, un massif de corail creusé de trous et de falaises et la " taupinière " où sont retenus en otage une vingtaine de gendarmes.
Les habitants vivent presque en autarcie. Ceux qui travaillent s'occupent du coprah, ceux qui possèdent une voiture l'assurent généralement la première année, puis l'oublient, comme la vignette.
Le vendredi 22 avril, un professeur de gymnastique est passé à 7 h 45 devant la gendarmerie de Fayaoué avec ses élèves. Il n'a rien remarqué. Trois quarts d'heure plus tard, raconte un enseignant, le collège protestant a fermé ses portes, craignant pour la sécurité des enfants, lorsque les victimes ont commencé à arriver au dispensaire, à côté de l'établissement. A un kilomètre de là, la gendarmerie venait d'être assaillie par un groupe d'une trentaine d'hommes du FLNKS.
Vers 13 heures, un Transall a évacué les familles des gendarmes, les blessés et les trois morts. Deux heures plus tard, deux avions qui avaient amené des renforts sont repartis vers Nouméa avec une trentaine de personnes qui voulaient quitter l'ile. Le soir, le vol régulier a encore emporté quelques passagers. Depuis, il n'y a plus d'avion, ni dans un sens ni dans l'autre. Une dizaine d'enseignants d'Ouvéa sont bloqués à Nouméa.
Plusieurs des quinze ravisseurs des otages sont originaires de la tribu de Gossanat, à une trentaine de kilomètres au nord de Fayaoué, où l'on accède par une route presque entièrement goudronnée. Les poteaux électriques sont arrivés l'an dernier. Un enseignant qui connait bien la tribu y a vu une voiture, mais ni télévision ni eau courante.
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