De Rungis aux cuisines
« Le menu de la Reine » : l'enquête aurait pu être signée Sherlock Holmes. Voilà des semaines que les limiers de l'Elysée cherchent à cerner les goûts mais aussi les interdits alimentaires de Sa Majesté. L'ambassade de France à Londres et Buckingham Palace ont été sollicités. Pas de cheval, donc, pour cette passionnée d'équitation et des plats pas trop aillés. « On va éviter les cuisses de grenouille à l'ail ou les escargots persillés », sourit-on en cuisine. Le menu est élevé au rang de secret d'Etat. Une certitude, Hollande a validé le repas qu'il revient à Guillaume Gomez, le chef cuisinier, de préparer.
« Hummm, ça sent le maïs... » Direction Rungis à l'aube en ce mercredi pour Gomez, meilleur ouvrier de France. La reine veut du foie gras. Quitte à fâcher le prince Charles, son fils, qui l'a banni de sa table pour cause de gavage trop cruel... A la maison Masse, fournisseur officiel depuis Pompidou, on a ce qu'il faut. Emballé, le foie gras du Périgord déboule sur un chariot. Tout y passe. La texture, d'abord. « Celui-là est bien lisse, ça donnera un bon résultat », diagnostique le cuisinier. La couleur, ensuite. Un peu jaune, c'est parfait mais trop de sang, et le paquet est écarté. L'odeur, enfin. « Hummm, ça sent le maïs, parfait ! » Quelque 6 kg de foie gras atterrissent dans la balance. Tous finiront en terrine. A 32 € le kilo, l'affaire est jugée plutôt bonne. Car en période de disette budgétaire, l'Elysée veille au grain. Le caviar ? Terminé ! Et sur les truffes, Gomez ne portera qu'un regard...
La bataille du camembert. De la rue, la fromagerie Nicole Barthélémy à Paris ne paie pas de mine. Mais, à l'intérieur, gouda aromatisé, tome sarde, camemberts... Des fromages par dizaines ! « J'en ai fait passer dans la valise diplomatique de Raymond Barre quand il était Premier ministre de Giscard d'Estaing, ça a été la razzia en Chine », raconte la fromagère. L'intendant adjoint a été clair : « Un dîner d'Etat, ça va vite, il faut que les invités identifient ce qu'ils mangent et qu'ils aient le choix. » Donc un plateau de cinq fromages. Direction l'arrière-boutique pour la dégustation avec le cuisinier. « Le fromage, c'est comme les hommes, c'est trompeur », rit Nicole. Le nez dans un reblochon, Gomez est ravi. Mais l'attention se concentre sur trois camemberts. Celui-ci est trop rustique, celui-là est bien crémeux. On s'arrête sur ce camembert d'Isigny-sur-Mer autant pour le symbole (Isigny, l'une des premières villes normandes libérées en juin 1944) que pour ses qualités : « Il est doux et a une bonne longueur en bouche. » La reine aura droit aussi à du roquefort (« pas trop suintant »), un comté, du reblochon, un valancey. Du classique.
Coup de feu pour une vingtaine de cuisiniers. Ce qui sera servi à la souveraine ne fait plus guère de doute : foie gras, agneau de Sisteron aux petits légumes, fromages et dessert à l'évocation mystérieuse : « Sensation d'été ». « Du classique mais pas trop simple car ça ne correspondrait pas au standing de la reine », explique Gomez. Sur la couverture du menu, la gravure utilisée il y a cent ans lors de la visite d'Edouard VII, une Marianne enlaçant les drapeaux français et anglais. Mais les convives n'auront pas droit aux 20 plats (truite saumonée, poulardes de Bresse, etc.) proposés à l'époque. Dans les sous-sols de l'Elysée, la préparation est déjà en cours. Le jour J, la brigade Gomez sera au grand complet avec une vingtaine de cuisiniers au feu.
ÉRIC HACQUEMAND | 5 juin 2014