Article Le Figaro du 10-08-1905, plan des navires Le Figaro du 08-08-1905 (Source: Gallica.bnf.fr)
LES FÊTES ANGLO-FRANÇAISES
La Revus navale
DE COWES
(Par dépêche de notre envoyé spécial.Jules Huret.)
Portsmouth, 9 août.
La pluie qui tombait ce matin n'a pas gâté la revue navale elle convient assez à ces monuments sombres, au mystère de leurs tourelles et de leur structure compliquée.
A neuf heures, nous étions sur le Sea Rorse, prêts à prendre notre rang dans le cortège royal, qui se composait de neuf vaisseaux 1er, l'Irène, yacht du pilotage qui prit la tête; 2e, l'Albert Edouard, yacht royal qui portait le Roi et la Reine, le prince et la princesse de Galles, la princesse Henry de Battenberg et les autres invités; 3e, YOsborne; 48, l'Alberta,
deux yachts royaux qui font cortège au Roi, sans contenir, paraît-il, d'invités 5°, YEnchantress, yacht de l'Amirauté; 6°, le Fire Queen, où se trouve le commandant en chef du port; 7°, le Mercury, avec le lord-maire de Londres; 8e, le SeaHorse, celui où nous sommes et qui nous pilote depuis le commencement des fêtes ;«9!v le Wye, réservé au maire de Portsmouth et au Conseil municipal.
La cérémonie- est très simple, et elle fut trop souvent décrite pour qu'il soï't • utile d'y revenir en détail.
Quand le yacht du Roi, entre dans les lignes des escadres, chaque navire tire vingt et un coups de canon, et cela fait, je vous assure, un infernal bruit. Les bateaux du cortège marchent à douze nœuds à l'heure,. ce qui permet de voir à l'aise chacun des bâtiments. De l'endroit où nous sommes, juste au centre des deux lignes des vaisseaux français et
anglais, c'est comme une avenue titanique, bordée de cathédrales de fer De chaque côté de cette voie chimérique, 17 vaisseaux, longs de cent vingt à cent cinquante mètres et espacés de quatre cents mètres, ce qui représente une perspective de près de neuf kilomètres; quatre étages d'hommes se tiennent immobiles; sur le gaillard d'avant, leurs mains appuyées au bordage forment une espèce de guirlande ininterrompue; au-dessus, sur les deux passerelles superposées, deux autres étages de marins en casquettes blanches, et enfin, dans les hunes, surgisseni d'énormes coupes de fer situées au milieu des mâts, deux douzaines d'hommes encore.
Les navires français se trouvaient à droite du Roi, dans l'ordre suivant le Masséna, battant le pavillon de l'amiral Caillard; le Jauréguibery, commandant Rabouin le Carnot, commandant Leclère le Bouvines, commandant Lamson Y Amiral-Tréhouart, commandat nSchilling \eHenry-IV, commandant Lephay la Gloire, commandant Jacquet;
le Coudé, commandant Soinborn; l'Amiral-Aubé commandant Lefèvre; le Léon-Ganibetta, commandant Clément; le Forbin, commandant Delafond; le
Cassini, commandant Fontorbe. L'amiral Leygue était sur le Bouvines et l'amiral Puech sur la Gloire.
A gauche du Roi .s'alignaient les navires'anglais dans l'ordre suivant l'ExmoiithCle Russel, le Duncan, le Montague, le Csesar, le Prince George, le Revenge,
YAlbemarle, le Cornioallis, le Swiftsure, le Triumph, le Juno, le Dido, le Topaze, le Sapphire.
Pour compléter la ligne française, on avait été obligé d'ajouter, après le Forbin, les navires anglais le Good Hope, le Kent, YAntrim, le Monmouth, le Done-
gal et le Mercury, car, ainsi qu'on le sait, nous n'avons que onze vaisseaux dans notre escadre du Nord en face des dix-neuf anglais de l'escadre de la Manche.
Arrivé au bout de la longue file, le yacht royal vira à droite pour passer entre les cuirassés français et la flottille de torpilleurs et de contre-torpilleurs français et anglais; à ce moment, nous aperçûmes très nettement le Roi, debout sur la passerelle de l'Albert Edouard.
J'avais vu le roi Edouard il y a aujourd'hui exactement trois ans, le jour de son couronnement, dans le brocart et l'hermine de son costume de luxe, entouré de seigneurs et de dames parées, aux yeux fiers, qui défilaient dans la grande nef de Westminster, dans,l'ordre des vieilles époques; des rois indiens, aux habits constellés de pierreries, faisaient à son cortège un cadre de splendeur; il venait de courir un grand danger, et son obstination à se faire couronner, malgré les pronostics des sorcières, lui. avait attiré les sympathies de l'Europe entière. Je ne l'avais pas revu depuis. Le voici aujourd'hui, droit, sanglé dans son uniforme d'amiral, parmi le cercle formidable de ses navires d'acier il sourit en saluant les salves qui tonnent tout autour de lui; véritable Roi de la mer, il n'a plus rien de ses ancêtres saxons, qui se riaient des ouragans dans leurs barques à deux voiles; les 200,000 tonnes de métal de ses quarante vaisseaux sont à ses ordres et sur un signe de lui, tous ces monstres vomiraient le feu et le fer des catastrophes! II faut faire un effort pour se souvenir que cet homme est le même qu'on voyait, il n'y a que quelques années, aux avant-scènes des théâtres parisiens, à la tribune de Lonchamp, dans le cabaret à la mode, une fleur à la boutonnière et un gros cigare aux lèvres.
A peine le yacht royal avait-il doublé le dernier vaisseau de la file, qu'à notre gauche un torpilleur fit son apparition en passant à toute vitesse. Tout le monde à bord se précipita pour le voir. Qu'était-ce que cela? D'où pouvait bien venir ce torpilleur attardé? Où allait-il de cette marche rapide ?
Un officier anglais qui se trouvait avec nous eut le temps de braquer sa lorgnette sur le fuyard; il s'écria, tout étonné: Mais c'est un contre-torpilleur allemand 1
Un court émoi agita les passagers du SeaHorse. Un torpilleur allemand qui se trouve là, à point nommé, pour assister à la revue des deux escadres et juste sur le passage du roi d'Angleterre! L'empereur Guillaume ne serait-il pas dessus?
Ne viendrait-il pas s'assurer lui-même incognito qu'il ne se trame rien contre lui, en se grimant, en faisant tomber ses moustaches au lieu de les relever, en prenant la place d'un quartier-maître, et mille inventions romanesques de ce .genre? Mais on apprit bientôt que le petit bateau sombre, qui venait d'apparaître ainsi comme un vaisseau fantôme, était le
destroyer qui avait accompagné à Cowes le yacht impérial Meteor venu pour prendre part aux régates. Nous l'avions échappé belle.
La revue était terminée. Nous rentrâmes. à Portsmouth. tandis le Roi se rendait à bord du Masséna où l'amiral en chef le recevait à déjeuner.
Le Roi, accompagné du prince de Galles et du duc de Gonnaught, a été reçu à la coupée du Masséna par l'amiral Gaillard et l'ambassadeur de France, entourés de tout l'état-major de l'amiral.
Edouard VII s'est montré, pendant tout le déjeuner, d'une affabilité et d'une bonne humeur charmantes.
Au dessert, l'amiral Gaillard a porté le toast suivant: "Sire, le grand honneur que Votre Majesté a daigné nous faire en venant s'asseoir à cette table, nous a profondément émus. Dans ce moment, à bord de l'escadre du Nord, tous les cœurs battent à l'unisson du mien tous se réjouissent de voir l'Angleterre et la France unies par les liens d'une cordiale amitié.
Tous font les vœux les plus ardents pour votre bonheur, pour celui de S. M. la Reine et de la famille royale."
Le Roi a répondu: "Je vous remercie de votre aimable hospitalité à bord du Masséna et de celle que j'ai reçue hier à bord du Jauréguiberry.
Ce n'est pas la première fois que j'ai le plaisir de déjeuner à bord d'un navire français mais je suis particulièrement heureux d'être l'hôte du chef de l'escadre du Nord.
J'espère que les officiers et les marins français seront satisfaits de l'accueil de leurs camarades de la flotte anglaise. J'ai le vif désir de leur rendre leur séjour ici aussi agréable
que possible et de marquer ainsi notre bonne amitié.
Je bois à la santé de M. le Président de la ̃République."
Le Roi et les princes quittèrent ïe Masséna avec le même cérémonial qu'à l'arrivée salves d'artillerie et God save the King.
A Portsmouth..... Voir la totalité de l'article Le Figaro ci-dessous