Article Figaro du 29/08/1925 "Les dîners de Paris"
LE CORNET
Il y a vingt neufs ans, au retour des obsèques d'un poète montmartrois, Georges Courteline, Paul DeJmet, Bertrand Millanvoye et Albert Michaut s'arrêtèrent pour boire quelques bocks dans une brasserie de Montmartre « l'Ane Rouge ». Les bocks se succédant et l'heure du dîner approchant, les quatre bons compères décidèrent de ne point se quitter et d'en jouer l'addition « aux dés ».
Tel est l'origine du « Dîner du Cornet ».
Les « Cornettistes » sont aujourd'hui deux cents, et leur groupe est devenu une puissante association qui, tout en ayant pour principal objet de resserrer les liens de camaraderie et de solidarité entre les artistes, les hommes de lettres et les amis des arts, vient néanmoins en aide, quand besoin est, à ses sociétaires et à leurs familles. De plus « le Cornet » décerne des prix, soit en les prélevant sur le produit des cotisations ou des tombolas qu'il organise, comme ce fut le cas pour un prix de trois mille francs qu'il décerna à M. Raoul Ponchon à l'occasion de la Muse au, Cabaret, soit en acceptant des dons. Ainsi viennent- ils de créer, grâce, à la générosité de M. Paul Ruez et de Me Nillis, avocat belge, un Prix de deux mille francs destiné, à l'auteur d'un scénario cinématographique, et un autre de mille francs, pour un compositeur de plain-chant.
Le Cornet comprend des membres d'honneur, des membres perpétuels, des membres actifs et des membres correspondants. Il y a quelques années, indépendamment du suffrage qui décidait de leur admission, les membres actifs étaient soumis à certaines épreuves complémentaires des plus fantaisistes. « Mou cher camarade, disait par exemple, au postulant, le président toujours jovial, pour que votre admission soit définitive, il vous faut exécuter ce que notre ami S. va vous indiquer. » A ce moment, un membre du « Cornet », connu pour ses talents excentriques, prenait une aiguille à tricoter et s'en .traversait les deux joues. Le candidat, effaré, pâlissait affreusement. « Ce n'est pas tout, continuait le président. » Et S. après avoir bu un petit verre de liqueur, en croquait intégralement le récipient, puis il absorbait un bock et mangeait, sans le moindre effort, le feutre sur lequel il lui avait été servi. Hâtons- nous d'ajouter que la défaillance du récipiendaire n'entraînait pas invalidation.
Les dîners du Cornet sont mensuels et ont généralement lieu au Café Cardinal un menu, toujours extrêmement original, est dessiné pour chacun d'eux. A l'issue du repas, la présidence du diner suivant, tirée aux dés, échoit à celui qui a amené le nombre de points le plus faible.
Depuis sa fondation, « le Cornet » eut successivement pour président MM. Georges Courteline, docteur Froger, Greuet-Dancourt, Georges Boyer, Serge Basset, Paul Gavault et Albert Michaut.
Le comité actuel est composé de MM. Georges Boyer, président d'honneur; Albert Michaut, président; Maurice, Neumont, vice- président, docteur Jacques Grumberg, secrétaire général (en fonctions depuis vingt- cinq ans) Armand Segaud, secrétaire général adjoint (unique membre perpétuel) Pierre François, trésorier; Paul Gagneau, trésorier adjoint; de MM. Auguste Maillard,
Charles Magny, Paul Gregorio, Francisque Poulbot, Henri Fursy, docteur Jean Laborde, Lucien Boyer, Henri Dauvin, Pierre Chapelle, Octave Linet, Léo Pouget, membres, et de M. Louis Wouters, secrétaire-archiviste adjoint.
En 1905, « le Cornet » créa un bulletin mensuel destiné à rendre compte de chacun de ses dîners il est rédigé par les membres et les invités. La plus franche gaieté est de rigueur au cours des repas et les comptes rendus sont toujours un régal de verve et de franche humeur.
Au deux cent trente quatrième dîner, qui eut lieu en février dernier et qui fut présidé par le compositeur Gustave Pins, l'actuel président du « Cornet », Albert Michaut, ex- commissaire de police de la plaine Monceau, à qui, comme chacun sait, tout art est familier, fit un discours en vers.
S'adressant à l'élu d'un soir, il s'exprima en ces termes
Quoi! vous portez un pince-nez!
C'est du superflu, mon compère,
Etant déjà, par votre père
Depuis pas mal de temps « Pins né! »
C'est beaucoup d'en avoir deux paires.
puis encore
Jugulant votre sang, stoïque,
Vous voici « Pins hémostatique ».
Le professeur Eugène Olivier, président à son tour un « dîner du Cornet », opina que « les dîners, même ceux du « Cornet », se suivent et ne se ressemblent pas toujours/ tout dépendant de celui qui les préside quand c'est un docteur, par exemple, ajoutait-il, c'est « borniolesque! » Sur quoi M. Pierre Chapelle déclara que le professeur Olivier avait eu « le mort pour rire!! »
« Le Cornet » a, depuis nombre d'années, deux buts
1° Lutter contre les tendances, sans cesse croissantes, qui menacent d'anéantir la renommée artistique de Montmartre;
2° Créer une « Maison des Artistes », où ceux qui viendront de l'étranger seront assurés de trouver une hospitalité digne du renom de la France.
Nous ne pouvons qu'applaudir à de si nobles projets.
Maurice Monda.
Quelques membres....:
Victor Clerice, Charles Gir, De Feure, Abel Truchet, Fernand Gottlob, Greilsamer, Jules Grun,
Henri Jamet, Lucien Jonas, Charles Leandre, Alber Michault, Maurice Milliere, Misti,
Maurice Neumont, Francisque Poulbot, Roedel, Armand Segaud,
Louis Tinayre, Abel Truchet, Georges Villa, Alphonse Willette....