Article Le Parisien
Par Ava Djamshidi et Eric Pelletier
Photo: DOMINIQUE JACOVIDES / BESTIMAGE
http://www.leparisien.fr/politique/g7-de-biarritz-les-secrets-d-un-diner-au-phare-07-09-2019-8147649.php
Emmanuel Macron dîne avec ses hôtes du G7, l’Américain Donald Trump, l’Italien Giuseppe Conte, le président du Conseil européen Donald Tusk, le Britannique Boris Johnson, l’Allemande Angela Merkel et le Canadien Justin Trudeau, à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), le 24 août 2019.
La France guidant le monde dans des flots tumultueux : pour la première grand-messe diplomatique qu'il accueille sur le territoire hexagonal, le 24 août, Emmanuel Macron ne lésine pas sur les symboles.
Ce samedi soir, pour l'ouverture du G7, le chef de l'Etat français et son épouse reçoivent les dirigeants des sept pays parmi les plus puissants de la planète au phare de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques). Flatteuse métaphore que cet impressionnant sémaphore.
La vue crée « un petit embouteillage »
A l'heure où le soleil irradie sa haute silhouette de 73 m, les chefs d'Etat invités répondent à l'invitation, sous les tamaris et face à l'océan. Après s'être salués, les hôtes admirent la vue vers Biarritz, débarrassée des nudistes entraperçus quelques jours plus tôt sur les rochers. Devant une telle splendeur, « il y a un petit embouteillage », relate un témoin de la scène.
Suivent trois heures de discussion serrée, à commencer par le nucléaire iranien, autour d'une table ronde à la nappe immaculée. Ces images sont de celles qui forgent les récits historiques : le phare de Biarritz reste aujourd'hui le « symbole » d' un G7 réussi. Dans l'ombre pourtant, s'est joué un bras de fer politique, diplomatique, sécuritaire et culinaire.
Politiquement, le phare représente en fait un choix par défaut. Situé au bout d'un promontoire, en pleine zone d'exclusion, il présente un intérêt en pierre de taille : il met le chef de l'Etat hors de portée de sifflets, alors que l'incendie Gilets jaunes couve toujours.
« On n'arrive pas à se mettre d'accord »
Depuis un an, les visites préparatoires visaient l'Arena, un restaurant élégant donnant sur la mer, avec terrasse et salle climatisée, situé à Port Vieux dans le centre-ville. Or, le lieu pressenti fait tiquer les collaborateurs de l'Elysée.
« On n'arrive pas à se mettre d'accord, se souvient une petite main du palais. L'intendance fait valoir que la configuration n'est pas idéale. Il faut une table des dirigeants et une table des sherpas que le président veut tenir à distance. »
Les organisateurs craignent surtout qu'au dernier moment, l'endroit ne déplaise au patron. Il faut dire qu'Emmanuel Macron s'entiche des moindres détails de « son » G7. C'est lui qui a fait le choix de la station balnéaire en plein mois d'août, ce qui a occasionné des nuits blanches au ministère de l'Intérieur et des heures d'embouteillage aux habitants.
Une organisation « très last minute »
En novembre 2018, au moment des célébrations du centenaire de la fin de la Grande guerre, il avait remis en cause le choix d'une réception à la Philharmonie au parc de la Villette, à Paris, trouvant l'endroit quelconque. Or, si le président lui-même s'est rendu à Biarritz en repérage en juin, il n'a pas visité l'Arena.
Le mardi 20 août, quatre jours seulement avant l'ouverture du G7, les organisateurs décident finalement de ranger la vaisselle et les serviettes et de déménager à 2,5 km d'ici. Au phare ! Et fissa.
Un indescriptible branle-bas de combat s'engage. Tout se monte, à partir de rien, autour d'une guinguette. « Très last minute », reconnaît un homme de l'ombre. Une extension de la pergola existante est dessinée par un scénographe.
« 200 000 euros tout compris », selon les organisateurs
Sous cette pergola où discuteront les chefs d'Etat, une longue tente, séparée en plusieurs parties, est installée. La première fait office de cuisine, où s'affairent une dizaine de chefs et de cuistots, pour préparer piperade, marmitako de thon rouge, fromages de pays et gâteau basque. Pour les vins, des producteurs de la région ont envoyé des échantillons à l'Elysée qui a fait sa sélection. Avec une condition : « Pas de bouteille à plus de 25 euros. »
De telles installations commandées dans l'urgence se négocient au prix fort. C'est la loi du marché. Sollicités, les organisateurs évoquent un coût global inférieur à 200 000 euros tout compris. « Les options étaient budgétées jusqu'à la mise en application de l'une d'elles lorsque l'arbitrage a été réalisé », insiste-t-on.
Et de rappeler que le coût global du sommet de Biarritz reste « très largement inférieur aux chiffres qu'on a pu connaître pour les sommets précédents, que ce soit au Canada ou en Italie », selon la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye.
L'arrivée de Trump bouscule la sécurité
Si d'un point de vue politique, diplomatique et culinaire, la soirée au phare fut réussie, d'un point de vue protocolaire et sécuritaire, ce fut moins fluide.
Donald Trump prévoit d'arriver le 24 août, vers 22 heures, histoire de bien montrer qui est le boss et de gâcher le dessert des convives. Le gros Boeing du président américain, « Air Force One », est censé se poser à Bordeaux-Mérignac (Gironde) vers 22 heures, la piste de l'aéroport Biarritz-Pays basque étant trop courte.
Mais l'absence de Trump au dîner constituerait un affront pour la partie française. Voilà une semaine que les différents protocoles s'écharpent sans tomber d'accord. Il faut un coup de fil direct entre Macron et Trump, à l'initiative du premier, pour que l'imbroglio se dénoue dans la nuit du mardi au mercredi.
Le président américain accepte finalement d'avancer son arrivée. Si bien que l'ensemble du dispositif de sécurité doit être revu en urgence, des couloirs aériens aux batteries anti-aériennes. Un tel changement d'agenda ne reste pas longtemps un secret d'Etat : sur leurs blogs, les altermondialistes, qui ont réussi à photographier l'hélico de la Maison blanche en pleine phase de préparation pour acheminer Trump à Biarritz, relaient l'information.
Les valises du président américain retardées
Air Force One se pose finalement à 13 heures sans encombre. Et Trump arrive à temps pour un déjeuner avec Macron. Pour ses bagages, il en va différemment. Il s'en faut de peu pour que le président américain, dans sa suite de l'Hôtel du palais, dorme comme Marilyn Monroe : ne portant que sa chevelure peroxydée et une goutte de parfum au creux du cou.
Ses valises sont en effet acheminées par voie terrestre, parmi une vingtaine de voitures, dont « The Beast », la limousine présidentielle, monstre blindé de 8 t.
Mais les forces de l'ordre françaises chargées de faire respecter la zone d'exclusion font du zèle. Elles ont déjà interdit l'accès à des membres haut placés de l'Elysée. Cette fois, elles font barrage aux bagages du président américain. No pasaràn ! Le couac est heureusement vite réglé. Et le G7 lancé.
Un G7, combien ça coûte ?
Peser sur la scène diplomatique a un prix. Ainsi, selon la Cour des comptes, le coût du G 8 de 2011 à Deauville s’était élevé à 31,3 millions d’euros, soit un dépassement de 60 % de l’enveloppe budgétaire initialement prévue.
En tenant compte du taux d’inflation, le G7 de 2019 devait, selon les projections, être supérieur à celui de 2011. Cette fois, le budget prévisionnel a été établi à 36,4 millions d’euros.
Si les comptes de ce sommet n’ont pas encore été complètement clôturés, l’ambassadeur du G7, Jean-Pierre Thébault, nous affirmait fin août que la rencontre de Biarritz coûterait vraisemblablement… moins cher. « Plusieurs millions de moins que ce qui était prévu », nous a-t-il assuré. Dix fois moins que le G7 organisé en 2018 au Canada, avec son coût de 390 millions d’euros, selon le Journal du Québec !